Le Président M. SALL a-t-il eu le génie politique de réussir deux prouesses :
1- Détourner l’opinion de la quintessence des réformes institutionnelles préconisée dans la
Charte de gouvernance démocratique des Assises nationales et confirmée quasiment par les
conclusions de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI).
2- Trouver, par le biais de la saisine du Conseil constitutionnel, une opportunité légale de
renoncer à son engagement de réduire son mandat en cours.
Persuadé que pour le commun des sénégalais, ce qui est en jeu c’est moins la Refondation que le
Mandat que les politiciens voulaient encaisser à leur place, Macky choisit de différer son émission en
attendant de récolter les fruits du plant de l’Emergence qui reprend à peine.
Ayant appris de Machiavel que « Les raisons légitimes de motiver la violation de ses engagements ne
manqueront jamais à un prince », la stratégie Mackyste fut bien murie, il ne rester qu’à la
dérouler non sans prendre le soin de n’y associer personne, pas même son plus proche entourage.
1ere Etape : la création d’une de la CNRI par décret n°2013-730 du 28 mai 2013, sous le prétexte de
traduire un engagement pris devant le Comité Nationale de Pilotage des Assises nationales ;
2e Etape : la tentative du palais de jeter le discrédit sur le travail de la CNRI après le dépôt du
rapport accompagné d’un avant-projet de constitution en février 2014 ;
3e Etape : la longue attente (jusqu’au début de la 5e année) avant de se résoudre à choisir la voie de la
révision constitutionnelle ;
4e Etape : l’adresse à la nation du 31 décembre 2015 par laquelle il décline son projet de révision
constitutionnelle qui énumère 15 propositions - disons 13 points plus exactement car les 11e, 12e et 13e
traitent du même sujet à savoir du Conseil constitutionnel - alors que la CNRI avait formulé 53
propositions, y compris la création d’une Cour constitutionnelle ;
5e Etape : l’installation d’une polémique à propos de la portée de l’avis du Conseil constitutionnel et
les déclarations sur une certaine exigence républicaine pour le Président de s’y conformer comme si le
Sénégal était gouverné par des juges.
6e Etape : la publication d’une version officieuse mais intégrale du projet de révision constitutionnelle
suivie de l’adhésion subite et unanime du parti présidentiel à la réforme après la saisine du Conseil
constitutionnel ;
7e Etape : l’approche du Chef de l’Etat à travers sa nouvelle adresse à la nation du 16 février 2016
justifiée par la tournure des événements et l’exigence de la crédibilité de nos institutions comme gage
de la préservation de la démocratie et de l’Etat de droit.
Cette approche quoique légale et conforme à la pratique républicaine n’est pas l’unique moyen pour
résoudre la problématique posée. Un décret aurait suffit pour convoquer le référendum et contourner
en toute légalité l’avis du Conseil constitutionnel.
Que l’on me comprenne bien, il ne s’agit nullement de remettre en cause les délibérations de la justice
qui ne coïncident pas toujours avec les aspirations de la classe politique. A titre d’illustration, la Cour
suprême, la plus haute juridiction d’alors, saisie par le Président de la République A Diouf déclara, en
1991, la loi organique relative à l’exigence de la nationalité exclusivement sénégalaise du candidat à la
présidentielle non conforme à la Constitution malgré son adoption à l’unanimité par les députés de
l’Assemblée nationale. Ce qui justifia la modification de la Constitution par la loi du 15 janvier 1992
pour inclure cette clause dans les conditions à remplir pour prétendre à la magistrature suprême.
Le Président de la République pouvait bel et bien, sans enfreindre les normes juridiques, se conformer
à l’article 3, alinéa premier de la fondamentale qui énonce sans équivoque : « La souveraineté
nationale appartient au peuple sénégalais qui l'exerce par ses représentants ou par la voie du
référendum ». C’est la voie que le Président De Gaule emprunta en 1962 lorsqu’il voulut consulter le
peuple français sur la nécessité d’élire le Président de la République par le biais du suffrage universel.
Le texte fut adopté par la voie référendaire en dépit de l’opposition de l’Assemblée nationale, du
Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel.
Au fond, c’est la même Constitution qui confère des prérogatives au Président de la République ainsi
qu’au Pouvoir judiciaire qui positionne le Peuple au dessus de tout pouvoir !
L’équation fondamentale qu’il faut résoudre est la suivante : avec qui le peuple a-t-il signé un contrat:
le gardien de la Constitution et garant du fonctionnement régulier des institutions ou le chef du parti
présidentiel ?
Sous ce rapport, j’avais alerté, dans une contribution datée du 9 avril 2015 et intitulée: « Faudrait-il
faire l’économie d’un Référendum ? », Monsieur le Président de la République à qui il revient, du fait
de ses prérogatives constitutionnelles, de soumettre une question ou un projet de texte au référendum.
Au demeurant, je lui avais suggéré qu’il ne serait pas indifférent d’ouvrir des consultations à propos de
la démarche à adopter tout en refusant l’enfermement et en évitant de réduire une question aussi
essentielle à un niveau strictement personnel car il me semble important pour l’Homme d’Etat de se
focaliser toujours sur l’enjeu véritable, autrement dit, ce que le Peuple gagne ou perd dans toute
initiative.
Toujours est-il que j’annonçais à cette occasion qu’à mesure que l’on se rapprochait de 2017, par les
doutes et appréhensions de certains caciques du régime sur leurs capacités à conservation le pouvoir,
foisonnent des déclarations à la faveur du maintien de la durée du mandat actuelle du Président de la
République à sept (7) ans. Mais une telle propagande, ne pouvait profiter au Président Macky SALL
que dans le cas où il aurait réellement l’intention de respecter sa promesse, maintes fois réitérée,
d’écourter son mandat. Au cas contraire, prévoyais-je, le reniement -Wax-Waxat-Waxet- jetterait le
discrédit sur toutes ses actions politiques présentes et futures et limiterait son règne à un seul mandat.
En serait-il pour autant coupable de parjure eu égard aux dispositions présentes de la loi
fondamentale ? Inévitablement, l’éthique, va devoir cependant se buter au realpolitik…
N’aurait-il pas était plus judicieux qu’il engage une véritable refondation de nos institutions et qu’il ne
se détourne pas de la trajectoire de l’éthique politique? N’était-il pas en avance sur les autres
concurrents dans la course vers une présidentielle en 2017 ? Le peuple ne lui aurait-il pas témoigné de
sa reconnaissance en raison du renoncement qu’il aurait fait? N’a-t-il pas désormais ouvert la voie de
la cohabitation, de la réhabilitation et de l’instabilité institutionnelle? L’avenir nous édifiera sur la
justesse de ses options…
Nous venons de rater l’occasion d’offrir à la face du monde un autre visage de l’Afrique, le Président
en exercice de la CEDEAO aurait dû montrer la voie à ses autres homologues de la communauté
encore hésitant sur la limitation du mandat. Le Président de la République vient de faire éliminer le
Sénégal à la finale du tournoi mondial de la démocratie. Ainsi, il ne recevra aucun message signé par
ses collègues chefs d’Etat des grandes nations démocratiques pour saluer sa grandeur, et ses
possibilités de briguer demain une instance régionale ou mondiale resteront hypothétiques car
l’époque de Blaise Compaoré est révolue. Par conséquent, le peuple ne saurait admirer sa grandeur.
Ayons le courage de situer les responsabilités !
Par leur mutisme, les alliés « Assisards » seront au banc des complices pendant que les forces vives,
qui ont fait preuve d’une naïveté impardonnable, seront tout aussi coupables de n’avoir envisagé en
temps opportun aucune sommation à la mesure de l’enjeu. Je me désole de l’attitude d’une société
civile qui, au lieu d’être en posture de sentinelle, de veille et d’alerte subit les événements pour ensuite
distiller des consignes de vote. Que dire de l’attitude de certains hommes religieux qui exhortent le
Président à poursuivre son mandat jusqu’à son terme.
Voilà qui justifie la justesse de la pensée de J. J. Rousseau : chaque peuple a le gouvernement qu’il
mérite !
Toutefois, la vérité historique réclame que nous rendions hommage au Président Amadou M. Mbow et
à son équipe pour avoir conduit avec patriotisme et dévouement les travaux de la CNRI. Aussi
l’objectivité nous oblige-t-elle à louer la perspicacité de Talla Sylla, le seule leader qui, entre les deux
tours de l’élection présidentielle de 2012, avait émis des réserves en estimant que l’engagement verbal
du candidat Macky SALL ne constituait pas une garantie suffisante pour l’application des conclusions
des Assises nationales. Depuis lors, rares sont les parties prenantes des assises nationales qui ont
dénoncé l’insuffisance des réformes annoncées par le Président. Les réactions les plus vives
proviennent du RND du Dr Dialo Diop et de Yoonu Askanwi.
A présent, la voie du référendum étant irréversible, quelle posture le peuple, désabusé, devrait-il
adopter : se résigner et prendre part à la consultation, s’abstenir au référendum ou se rendre aux urnes
pour voter contre le projet. L’autre alternative c’est la mobilisation des citoyens pour exiger du
Président qu’il soumette un projet de constitutionnel plus consistant. En ce qui me concerne, il y’a
longtemps que je me suis décidé par une contribution, en date du 14 octobre 2014, intitulée : « Les
incertitudes de la révision constitutionnelle : hypothèses sur le référendum ».
En tout état de cause, mon combat a toujours porté sur l’adoption du bloc constitutionnel proposé par
la CNRI qui non seulement intègre la question du mandat, mais entend introduire des innovations dans
les choix institutionnels et des évolutions notoires dans la redistribution des pouvoirs. Ainsi
l’excessive concentration du pouvoir entre les mains du Président de la république serait abandonnée
au profit d’un meilleur partage des rôles au sein de l’exécutif et une véritable séparation et un
équilibre entre les pouvoirs; une réelle indépendance de la justice ; le renforcement des mécanismes du
contrôle parlementaire sur l’exécutif ainsi que des droits et libertés du citoyen qui participerait à ce
contrôle et qui pourrait saisir la plus haute juridiction à savoir une Cour constitutionnelle « lorsque
qu’ une mesure d’ordre législative lui parait porter atteinte aux droits fondamentaux ou remettre
gravement en cause les principes et valeurs de la République, de la démocratie et de l’Etat de droit »…
Enfin permettez-moi de dire à Monsieur le Président de la République que lui seule connait ses
propres motivations.
Ndiaga SYLLA Sénégal, le 19 février 2016
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